Premier prix à vingt-deux ans, agréé à l’Académie royale à vingt-huit, reçu, puis adjoint à professeur à vingt-neuf, Jean-Baptiste Deshays a franchi à grands pas toutes les étapes de la carrière académique.
Certes, il arrivait sous de bons auspices. Il fut élève, puis gendre de François Boucher, alors adjoint à Recteur. Le talent de Deshays s’imposa avec éclat dès la présentation au Salon de 1759 de son Saint André refusant d’adorer les idoles. Le Mercure de France écrivit que le tableau «a réuni tous les suffrages. Il a la gloire de balancer dans l’estime des connoisseurs les plus beaux morceaux de cette exposition».
Dès lors, chacun de ses envois au Salon fut salué par la critique et par les amateurs. Diderot ne tarissait pas d’éloges: Deshays est «sans contredit le plus grand peintre d’église que nous ayons» (1763). Pour l’abbé Bridard de la Garde, il était «le soleil levant de la peinture françoise» (1763). L’Année Littéraire alla jusqu’à écrire, après le Salon de 1763: «Qu’il soutienne ce vol d’aigle, et il pourra se flatter d’être un des plus grands Peintres, non seulement de sa patrie, mais du monde entier et de tous les temps.»
En 1764, son élève Alizard reçut le Grand Prix. Malheureusement Jean-Baptiste Deshays tomba d’un échafaudage, et mourut peu après, à trente-cinq ans. Diderot se lamenta: «c’est celui-là qui avait du feu, de l’imagination et de la verve; […] c’est celui-là qui était vraiment poète» (Salon de 1765).
Ce succès public se traduisit dans les commandes. À son décès, il était chargé de quatorze peintures importantes: trois cartons de tapisserie de L’Astrée, ainsi que trois «sujets champêtres» pour Beauvais, deux «sujets de la fable» pour les Gobelins, un grand tableau pour la Ville de Paris, un autre pour le Parlement de Rouen, trois autres pour les églises de Saint-Roch à Paris, et de Saint-Louis à Versailles, et une commande royale pour la galerie de Choisy. Pour cette dernière, il se trouvait sur un pied d’égalité avec les plus renommés de la génération précédente: Carle Vanloo, François Boucher et Joseph-Marie Vien.
Deshays ne fut pas seulement un peintre de tableaux d’autel. «Le Mercure de France», après le Salon de 1763, le baptisa «peintre de tous les genres». Il fit de nombreuses «caravanes», genre très apprécié alors, inspiré du génois Benedetto Castiglione. Ses esquisses, animées d’un beau «feu», furent également très prisées. Mariette écrivit dans son Abecedario: «ses desseins et ses esquisses ont été vendus fort cher à son inventaire». Ces œuvres sont toujours très recherchées aujourd’hui.
Un goût ténébreux, signe avant-coureur du Romantisme
Un des aspects les plus fascinants du 18e siècle est l’émergence, dans sa seconde moitié, d’un goût «ténébreux». Celui-ci se manifeste d’abord dans la littérature anglaise depuis les poèmes de Young (1742), jusqu’aux Poèmes d’Ossian (1760-1763) qui annoncent un changement profond dans la sensibilité européenne.
Dans la peinture, nous avons pris l’habitude de considérer qu’il faut attendre la fin du siècle, avec les visions de Füssli ou de Goya, pour trouver un écho à cette inquiétude.
Mais le goût pour le «Sublime», pour les ruines, pour les éruptions volcaniques, pour les naufrages nocturnes n’a pas attendu aussi longtemps. Les âmes sensibles du siècle des Lumières pouvaient se délecter de visions effroyables. À étudier les dessins de Jean-Baptiste Deshays, ses Tobie, sa Résurrection de Lazare, son Châtiment de Coré, il faut reconnaître qu’il fut un des premiers à être à l’unisson avec une composante encore ténue de l’air de son temps.
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